avec la participation des écrivains : Lise Gauvin, Malick Diarra, Philippe Pujas et Antoine Spire.
Écrivaine et musicienne, Lise Gauvin a publié plus d’une vingtaine d’ouvrages, parmi lesquels Lettres d’une autre ou « comment peut-on être québécois(e) », essai-fiction qui en est à sa sixième édition (Typo, 2007) et La fabrique de la langue. De François Rabelais à Réjean Ducharme (« Points », Seuil, 2004 et 2011), qui a reçu en France une Mention spéciale du Grand prix de la critique. Ses recueils de nouvelles ont été chaleureusement accueillis par la critique et lui ont valu le statut de « nouvellière de premier plan » (2003). Parmi ses derniers titres, mentionnons : Les lieux de Marie-Claire Blais, entretiens (Nota bene, 2020), L’effacement, livre d’artiste (Transignum, 2019 et 2020), Le roman comme atelier. La scène de l’écriture dans le roman francophone contemporain, essai (Karthala, 2019), Parenthèses, nouvelles (Lévesque éditeur, 2015). Pour son engagement envers la langue et dans la francophonie, elle a reçu le Prix du Québec Georges-Émile Lapalme en 2018 et, en 2020, l’Académie française lui a remis la Grande Médaille de la francophonie. Membre de l’Académie des lettres du Québec, dont elle fut la présidente en 2008 et 2009, elle est aussi membre fondatrice du Parlement des écrivaines francophones. Elle vient de faire paraître un roman sous le titre Et toi, comment vas-tu ? (Montréal, Leméac, 2021; Paris, Éditions des femmes, 2022). Elle a aussi dirigé le numéro récent de la revue Littérature intitulé « À l’aube des littératures francophones : les premiers romans »,
n° 205, mars 2022.
Intervention de Malick DIARRA :
Rencontre avec Lise Gauvin
Bonjour Lise Gauvin et merci d’être là pour un voyage dans l’univers de vos mots et également dans celui de la langue littéraire, qui est, somme toute, universel.
Vous intriguez lecteurs, écrivains et linguistiques puisque vous vous servez de la langue à la fois comme laboratoire et véhicule de transgression. En somme, vous essaimez dans ce champ langagier la pensée de Gaston Miron : « Parfois je m’invente, tel un naufragé, dans toute l’étendue de ma langue ».
Dans les textes de Lise Gauvin ce sont les mots à substances qui fascinent, qui appellent comme dans un chemin à suivre, désignant des voies passerelles de mémoires, des voies remparts, de surveillance continue, de transmission aussi et qui, finalement se traduisent en donation aux cliniciens de la langue réduisant ainsi l’insécurité linguistique tout en enrichissant l’écrit par l’intégration de l’oralité.
Pour Lise Gauvin l’écriture des écrivains en langue française venus d’ailleurs est une écriture nomade, elle apporte un accroissement à l’expression et propose une surconscience linguistique.
Qu’il est agréable de brasser le temps avec les mots de la poétesse, ces mots qui réveillent l’appétit de l’esprit.
On perçoit, mieux, on ressent comment les mots s’appuient sur des choses en les pénétrant de cette façon si profonde. Comme des froissements de vagues, les mots fluent et refluent faisant voguer le lecteur vers des lieux d’élaboration, des lieux de projets d’expression, d’une expression libre à laquelle s’ajoutera ce mouvement d’appropriation de la langue propre aux poètes, la langue même de l’âme et de conception d’un statut de fonctionnement du littéraire qui accouche de l’œuvre .
Pour étayer mes dires, il me suffira de vous inviter à la fête des mots mêmes de Lise Gauvin, mots qui permettent d’aller à la rencontre de la bienveillance et de la connaissance.
« Les mots » et « Si j’étais Dieu »
Si j’étais Dieu,
J’arrêterais le temps l’éternité d’un instant
Pour contempler le monde tel qu’il est
Avec ses ratés et ses promesses
Ses bonheurs inachevés, ses indifférences programmées,
Ses certitudes précaires et la vie toujours provisoire.
J’inventerais la survie de l’espace,
Des animaux guérisseurs et des fleurs multilingues.
Je donnerais une fille au Saint-Esprit pour lui expliquer la vie en général et en particulier, une fille pour le convaincre de retricoter le monde une maille à la fois.
Inspirée par la musique de Léo Ferré, Lise Gauvin sublime les mots :
Ce sont des drôles de signes répandus sur la page que l’on ramasse en bulle pour mieux tromper l’ennui. Ce sont des drôles de signes traversés par l’image qui nous servent de guide pour repenser la vie. Ce sont des drôles de signes qui conspirent à relais pour dire que de l’humain, les mots montent la garde.
Ils redessinent le monde, transforment les rebuts en fabuleux miroirs et ils ne peuvent éviter ce qui les met en cage.
Lise Gauvin, je vous demanderai simplement ceci :
Pourriez-vous nous dire les rapports des écrivains avec leurs propres langues, c’est-à-dire leur langue maternelle ? Est-elle oubliée ou est-elle un socle permanent ?
N’y aurait-il pas des variations dans l’écriture d’un thème commun exprimée dans une langue autochtone ?
Les mêmes sentiments ressortent-ils avec les mêmes termes, si le magma indigène qui le produit est différent ?
Exemple de schémas interprétatifs : pour qualifier le génocide de Tutsis du Rwanda « Génocide rwandais » alors que celui des juifs est nommé holocauste ( geno : famille, peuple et cid : tuer)
Avec le surgissement des langues autochtones, comment éviter à la francophonie de créer dans l’avenir, une dichotomie entre francophones de l’intérieur et francophones décentrés ?
La francophonie peut-elle encore porter l’espoir de la langue du grand ensemble ?
Et toi, comment vas-tu ?
De cette question presque banale à laquelle Lise Gauvin confère une dimension poétique, philosophique, métaphysique et artistique.
Comme couverture de page du livre, vous avez choisi la peinture d’Edvard Munch en écho à l’angoisse qui vous saisit et à la douleur qui traverse votre maman. Au final, son silence vous laisse entendre ces derniers mots au téléphone : Et toi, comment vas-tu ? Ces six syllabes deviennent le cri muet qui s’incruste dans votre être.
Sur « The Gangway » la fusion du cri mélancolique et l’angoisse mettent un segment de cette passerelle hors champ visuel mais le groupe des quatre personnages en murmures sonores nourrissent l’écoute de la jeune Dame en bleu sur le chemin rugueux de la vie.
C’est dans sa narration que l’auteure utilise le dédoublement par le je et le nous qui laisse percevoir une partie de Lise Gauvin. A 15 ans, Lise Gauvin s’engage à défendre les libertés individuelles dans le mouvement de désobéissance civile initié par la publication de « Refus global » rédigé par le peintre Paul Emile Borduas pour combattre le conservatisme passé. Les Québécois reprennent en chœur les premières lignes du manifeste : « Au diable le goupillon et la tuque ».
Malick Diarra, comité francophonie PEN club français.
Cette rencontre a eu lieu au siège du Pen Club français : Hôtel Blémont. 11 bis rue Ballu 75009 Paris