Par Catherine Pont-Humbert
De son regard bleu pâle, comme délavé par la douleur et la colère, Volodymyr Karatchyntsev poète, essayiste, traducteur et journaliste, arpente les allées du Marché de la poésie de Paris en ce mois de juin 2022. Invité, sur proposition du Président d’honneur du Pen Club, Sylvestre Clancier, il est notamment intervenu sur la scène du Marché de la poésie le jour de l’ouverture. Il a entamé depuis le mois de février un cycle de poèmes intitulé Graphies qui disent les horreurs d’une guerre fratricide entre Russes et Ukrainiens.
Né en 1950 à Lviv, à l’ouest de l’Ukraine, près de la frontière polonaise, il vivait dans cette ancienne cité inscrite au Patrimoine mondiale de l’Unesco et capitale culturelle de l’Ukraine contemporaine jusqu’au déclenchement de la guerre.
Imprégné par les profondes racines multiculturelles de sa ville natale qui ont influencé son penchant pour l’étude des langues, il a mené pendant plus de vingt ans une carrière diplomatique dans plusieurs pays (notamment Consul général d’Ukraine à Naples).
S’il s’est senti poète dès l’âge de douze ans, c’est à l’université, à la lecture des œuvres de Breton, Tzara, Michaux, Queneau, Éluard (dont il est devenu le traducteur) ou encore Guillevic que son écriture poétique s’est réellement révélée.
Il était, jusqu’au déclenchement de la guerre, le directeur du journal culturel Pulse à Lviv. Sa femme et leur fillette de 11 ans sont parties les premières pour la Pologne, dont il souligne l’extraordinaire solidarité avec les Ukrainiens. Lui, malade, a dû rester à Lviv encore quelques temps, avant de les rejoindre. Depuis ils vivent en exil en Suisse. Et dans ses Graphies le poète n’oublie pas de célébrer « les branches grises des cerisiers… les montagnes bleues foncées », la paix de ce paysage helvète, bien loin de ce que connaît son pays depuis 4 mois maintenant.
Au Marché de la poésie, il me parle de ce qu’il a vécu depuis le mois de février et le mot guerre ne quitte pas un instant son récit. Russes et Ukrainiens sont frères ennemis, dit-il. Cette notion de fraternité dans les circonstances de la guerre doit bien sûr être interrogée. Très vite il ajoute que les événements prouvent combien cette fraternité est factice. En réalité, Ukrainiens et Russes ne sont pas frères, et ne le seront jamais. Certes, et notamment à l’est du pays, beaucoup d’Ukrainiens parlent russe. Lui-même le parle, son père était russe de la région de Kharkiv, aujourd’hui totalement détruite. Aujourd’hui tous les intellectuels ukrainiens quittent la langue russe.
Le président russe c’est l’empire du mal dit Volodymyr Karatchyntsev Ses modèles ? Hitler et Staline, ajoute-t-il, avec en plus la technologie et la propagande modernes. Il a déjà massacré la Syrie, il continue en Afrique et en Ukraine, jusqu’où, et jusqu’à quand ? Nul ne le sait.
La seule issue serait que la Russie perde cette guerre qu’elle a déclenchée, et qu’elle ressente l’atrocité de ce qu’elle fait subir à l’Ukraine.
Dans ses Graphies d’avril, Volodymyr Karatchyntsev parle des corps des victimes découverts à Butcha « surtout des enfants mutilés, torturés, violés… brulés ». Il parle des massacres perpétrés par les soldats russes (dont on tente de dissimuler les hommages devenus trop voyants avec les listes de jeunes morts en Ukraine) qui « n’est digérable ni à l’âme, ni aux yeux ». Ces soldats russes (plus de 30 0000 auraient déjà péri au combat) dont on a les enregistrements envoyés à leurs familles où ils se montrent en super héros fiers de tuer, d’assassiner, de violer, sont-ils encore des êtres humains s’interroge Volodymyr Karatchyntsev qui n’hésite pas à prononcer le mot de génocide. De très jeunes gens pour la plupart, assassins eux-mêmes sacrifiés pour maintenir au pouvoir un personnage diabolique. Dans ses Graphies on les retrouve devenus « de vrais loups déguisés en moutons »
Alors bien sûr, dans un tel contexte, la poésie « ça se crache, ça se hurle, ça se rime aux cris des victimes, aux souffrances gémies, à tout ce qu’il vaut mieux ne jamais voir »
La poésie de Volodymyr Karatchyntsev passe par le sang, les tripes, les chairs parsemées mais n’oublie jamais l’éternité, le thème qui domine tous ses écrits, avec celui de l’amour, amour des femmes et de la nature.
Le sentiment d’éternité il l’a touché à Rome, il l’a ressenti également dans la poésie de Georges-Emmanuel Clancier qui avait choisi pour titre d’un de des romans L’Éternité plus un jour (phrase empruntée à Shakespeare).
« Merci mon Dieu d’avoir voulu mieux nous préparer à l’éternité » dit Volodymyr Karatchyntsev dans ses Graphies de mars.
Nous sommes arrivés au moment où l’éternité et l’amour peuvent se rejoindre dans la poésie.
Catherine PONT-HUMBERT