Contribution de Sylvestre Clancier, président d’honneur du PEN club français, au centenaire du PEN (1921 -2021)
L’effroyable guerre mondiale de 1914-1918 a ravagé l’Europe. Plusieurs millions de tués, de mutilés à vie, des centaines de milliers d’autres meurent dans les années 20 des suites de la guerre. Une génération entière est décapitée, les espérances humanistes et pacifistes portées par des élites artistiques et intellectuelles dans chacune des nations européennes sont naufragées – on se souvient de l’odieux assassinat de Jean Jaurès, à Paris, à la veille de la déclaration de guerre, assassinat qui demeurera impuni, le meurtrier étant acquitté quelques années plus tard – c’est dans ce terrible contexte (celui également d’un climat revanchard, il n’est qu’à regarder le dépeçage infligé aux nations vaincues et les terribles réparations de guerre imposées à la République allemande par la France) qu’en 1921, quelques écrivains, hommes et femmes de convictions humanistes et pacifistes à Londres en particulier, Catherine Amy Dawson, John Galsworthy et H.G. Wells et à Paris, autour d’Anatole France, de Paul Valéry, des écrivains de la NRF, de Jules Romains qui passera à la postérité comme le mémorable auteur des Hommes de bonne volonté, décident de former un cercle littéraire humaniste et pacifiste destiné dans un esprit universaliste à jeter par-delà les nations des ponts favorables à la paix et à la liberté d’expression dans le monde : la littérature ignorant les frontières, se défiant des idéologies et rassemblant à travers ses valeurs les meilleurs esprits porteurs d’un projet de civilisation universelle et émancipatrice.
En France – le rayonnement.
Londres et Paris donc comme foyers fondateurs du PEN Club, auxquels s’agrègent très vite d’importants écrivains d’autres nations européennes près à former à leur tour des PEN Club dans leur propre pays.
Notre premier président français, Anatole France, immense romancier humaniste, meurt peu après, en 1924, la nation lui accorde des funérailles nationales au Panthéon.
Paul Valéry relève le gant et vaillamment pendant plus de dix ans, à l’heure de la montée des périls fascistes et nazis en Europe, œuvre courageusement à l’entretien de liens féconds entre de nombreux écrivains européens humanistes comme John Galsworthy, H.G. Wells, Stefan Zweig et Rainer Maria Rilke. Jules Romains lui succède jusqu’à la guerre en tant que président du PEN Club français et devient également Président de la Fédération Internationale PEN C’est à ce double titre qu’il accueille à Paris, le 20 juin 1937, le XVème Congrès international des PEN.
C’est aussi à Paris le moment de l’exposition universelle et de l’inauguration du nouvel édifice Place du Trocadéro aux frontons duquel des pensées et maximes de Paul Valéry sont gravées en lettres d’or. Voici quelques extraits de l’allocution prononcée par Jules Romains à cette occasion : « Une première maxime se gravait au fronton de notre institution : L’ESPRIT N’EST PAS MOBILISABLE… La lutte des idées réclame la paix des peuples comme terrain naturel, tandis que la guerre des idéologies c’est un camouflage en même temps qu’une préparation de la guerre tout court !…
« …Nous n’acceptons aucun prétexte pour que ces droits de l’esprit soient suspendus ; parce ce que nous savons bien que, si l’on en accepte un seul, il s’en découvrira bientôt mille. Toutes les circonstances deviendront exceptionnelles, toutes les situations deviendront de salut public lorsqu’il s’agira d’obtenir de l’esprit un silence ou un acquiescement commodes. Les mesures présentées comme provisoires s’éterniseront. Il se créera une prescription des droits de la pensée et de la littérature. Or, si nous, Fédération PEN, n’avons pas hélas le pouvoir de remettre les choses en ordre dans tous les cas, nous avons du moins, celui d’assurer, par des actes appropriés, l’interruption de la prescription. »
L’année suivante, en 1938, le XVIème Congrès de la Fédération Internationale PEN réunissait à Prague plus de 200 écrivains de plus de 20 pays. Jules Romains y conduisait une importante délégation d’écrivains français (une bonne vingtaine) comparable à la délégation des écrivains anglais. De nombreux écrivains ayant fui le régime nazi se trouvaient également à Prague. Le Congrès apporta un important soutien moral aux Tchèques et aux Slovaques, malheureusement les politiciens déçurent les espérances.
La résistance sous toutes ses formes.
Pendant l’occupation nazie en France, ce fut Benjamin Crémieux, le Secrétaire général du PEN français un écrivain exemplaire par son courage et son abnégation qui entreprit de sauver des dizaines d’écrivains étrangers réfugiés en France, il fut en définitive arrêté et déporté et mourut dans les camps de la barbarie nazie.
À la Libération de Paris, Paul Valéry reprit pour un temps le flambeau en acceptant de nouveau la présidence du PEN français, mais en raison d’une santé défaillante, il mourut prématurément en juillet 1945, alors même qu’il venait d’être envisagé de lui confier la présidence de la nouvelle République française en raison de sa haute valeur morale. Jean Schlumberger, un écrivain irréprochable et de haute exigence éthique, proche d’André Gide et du groupe fondateur de la NRF, lui succédera jusqu’en 1951. Puis ce sera André Chanson, autre écrivain protestant, qui assurera la relève et deviendra également Président de la Fédération Internationale PEN En 1959, Yves Gandon, homme de lettres influent qui exercera en même temps la présidence de la Société des Gens de Lettres de France assumera la présidence du PEN français jusqu’en 1973. Avec Pierre Emnanuel, autre grand écrivain et poète résistant, membre de l’Académie Française, qui vient de présider la Fédération Internationale des PEN, le PEN Club français dont il devient président s’installe au cœur de Paris, derrière l’Hôtel de Ville, où il peut accueillir en résidence des écrivains venus de l’étranger. Mon père, Georges-Emmanuel Clancier, connu également pour sa résistance intellectuelle pendant la guerre et l’occupation nazie, lui succède jusqu’en 1979, avant de prendre la tête de la représentation française au sein de l’UNESCO, à Paris. Ensuite, pendant dix ans, René Tavernier, autre écrivain résistant, fondateur à Lyon de la revue Confluences pendant la guerre, lui succède et deviendra, en 1989, Président de la Fédération Internationale PEN Avant cela, il organise avec la participation de mon père et l’intervention très efficace du nouveau Secrétaire International des PEN Jean Blot (Alexandre Blokh), le Congrès mondial des PEN à Lyon en 1981. La romancière Solange Fasquelle lui succède de 1990 à 1993, puis le poète et éditeur Jean Orizet de 1993 à 1999. Cette même année, Jean Blot, qui n’est plus depuis deux ans le Secrétaire International des PEN, est élu à la présidence du PEN Club français. Étant moi-même déjà membre élu du Comité, j’en deviens alors le Secrétaire Général. Nous exercerons l’un et l’autre dans ces fonctions deux mandats de trois ans, avant ma propre élection à la présidence du PEN français, fin 2005.
À cet instant, il nous faut souligner le rôle considérable qu’a joué Jean Blot dans le développement de la Fédération Internationale des PEN. En effet, ayant travaillé aux Nations-Unies depuis l’après-guerre et devenu dans les années 70 l’un des directeurs de l’UNESCO, c’est lui qui recommanda au romancier Mario Vargas Llosa, ayant travaillé à l’UNESCO et étant président de la Fédération Internationale PEN d’en faire la grande organisation mondiale d’écrivains agréée et reconnue par l’UNESCO. Jean Blot étant quelques années plus tard devenu le Secrétaire International de cette organisation contribuera à son développement, avant d’être élu comme mon père Georges-Emmanuel Clancier Vice-président international.
C’est ce même engagement du PEN Club français au sein des instances du PEN International que j’ai moi-même à mon tour repris au 21ème siècle pendant une quinzaine d’années, en exerçant notamment deux mandats électifs au sein du Comité exécutif du PEN International qui m’ont notamment permis d’être le rapporteur des nouveaux statuts adoptés à Berlin, lors du Congrès mondial en 2006 et de proposer et soutenir la création de nouveaux centres PEN, notamment ceux des Ouighours et des tibétains en exil, des nord-coréens en exil, de la Grèce, d’Israël, du Maroc et de l’Occitanie. En 2016, j’ai dû reprendre un mandat de Président par intérim de notre PEN Club, en raison du départ pour cause de maladie de mon premier successeur, Jean-Luc Despax, et cela jusqu’au 18 janvier 2018. Mon second successeur a été Emmanuel Pierrat, avocat, auteur d’un pertinent essai sur les nouvelles formes de censure.
Vers l’avenir.
Le 16 septembre 2020, Antoine Spire, le brillant journaliste culturel et humaniste engagé, lui a succédé à la présidence de notre PEN. Il était déjà, ces dernières années, un actif vice-président aux côtés de la jeune poète franco-roumaine internationalement reconnue, Linda Maria Baros, de Malick Diarra, écrivain humaniste franco-sénégalais et de Philippe Pujas qui fut, au début de ce siècle, un efficace secrétaire général, d’abord adjoint, puis en titre.
Je suis très heureux de constater qu’en ce début d’année 2021, année du centenaire de notre fondation, notre nouveau Président, Antoine Spire, avec toute l’équipe du Comité directeur et de nombreux membres de notre Pen associés à nos travaux, accroît l’efficacité et la renommée de notre institution en Europe, au sein de la Francophonie et à l’International.
La cinéaste Martine Lancelot qui a réalisé pour notre centenaire un important film documentaire constitué d’entretiens autour des valeurs que nous défendons avec de nombreux écrivains français et étrangers, film qui sera projeté au second semestre 2021, nous a dit avoir été saisie, tout au long de la réalisation de son film, par l’importance et la valeur fondamentale des engagements humanistes portés par l’ensemble des écrivains contemporains membres de notre PEN ou de bien d’autres PEN. Sylvestre Clancier Président d’honneur du PEN français Ex membre du Comité exécutif du PEN International.